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jeudi, 16 août 2012 14:09

Memoire du Sel 1/2, par Yvon DUFRENE

Mémoires du Sel

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Yvon Dufrêne - Sept.1996

Histoire des marais salants de Séné

 

f 2

1-POURQUOI DES MARAIS SALANTS A SENE ?
Si de nos jours, le sel ne joue dans l'économie mondiale qu'un rôle mineur, son importance autrefois peut se comparer à celle du pétrole aujourd'hui.
Depuis le XIX° siècle, dans les pays développés, avec l'avènement de la civilisation industrielle, les besoins en énergie forment la préoccupation majeure. Dans les siècles précédents, il s'agissait avant tout de se nourrir, de manger à sa faim.
Il y eut naguère des "guerres du sel" comme à notre époque des "guerres du pétrole". Posséder du sel, en contrôler la vente, la taxer, était source de richesse. Les pouvoirs l'ont vite compris. L'impôt sur le sel n'a été supprimé en France qu'en 1945.

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Du saloir à l'usine
Denrée de première nécessité : substance vitale, condiment par excellence, agent conservateur, l'importance du sel dans la vie domestique fut primordiale pendant des siècles.
Au XVIII° siècle, période de création des marais salants de Séné, et jusqu'au milieu du XX° siècle, son rôle était irremplaçable dans la conservation des aliments.
Depuis l'antiquité, on avait pressenti les vertus antiseptiques du sel et son pouvoir déshydratant et on les utilisa pour la conservation des viandes, des poissons, et des produits laitiers.
" Gant halen e vez kasset blas ar goular...
Avec le sel on retire le goût du fade "
La Bretagne était sous l'Ancien Régime, pays de franc-salé, c'est à dire ne payant pas la gabelle, cet impôt sur le sel particulièrement haï partout ailleurs en France. Aussi notre région fut elle logiquement célèbre pour ses salaisons.

Salaison des viandes
Dans beaucoup de foyers, on possède encore ces charniers de terre cuite où l'on conservait la viande de porc salée et qui ne furent détrônés par le congélateur que dans les années 1960-1970.
En plus du porc on salait aussi la viande de bœuf. "'Dès la fin du moyen-âge, les salaisons de viandes de bœuf entrent dans t'avitaillement des navires bretons et européens, autorisant des pérégrinations sur mer sans qu’il ne soit nécessaire de toucher terre. Les grands ports, Brest, Lorient, siège de La Compagnie des Indes, et Nantes, point de départ du Commerce triangulaire en sont demandeurs pour leur vaisseaux de commerce ou de guerre (1) "
(1) Gildas Buron dans "Quand les Bretons passent à table"

Salaison des poissons
Outre les viandes on salait aussi les poissons
" Dans les limites du domaine breton, on inventorie une infinité d'espèces qui ont fait l'objet de préparation à sec ou de techniques spécifiques de saumurage ... Les pêcheurs, fournissant en période de Carême à l'arrière-pays et aux villes de Bretagne, toutes espèces de poissons salés susceptibles de figurer aux, menus des tables des élites et des classes populaires, faisaient intervenir [e salage à un stade ou à un autre des procédés de conservation. (1)


Le long des côtes morbihannaises existaient de nombreuses presses à sardines dans lesquelles les poissons étaient salés et disposés dans des barils percés pour y être pressés. Voilà comment Le Masson du Parc décrit, dans son rapport sur les pêches, les presses à sardines à Belle-Ile en 1728:

"Les presses à sardines sont des espèces de petits magasins à rez-de-chaussée sans aucun étage. A la hauteur de trois pieds et demi à pieds sont des trous dans la muraille d'environ un pied en quarré et de profondeur pour y pouvoir placer le bout de l'anspect ou petit soliveau qui forme le levier de fa presse. On place le baril à distance proportionnée de la muraille. Le fond qui est percé est sur un conduit ou petit égout le long duquel coulent l’huile et l’eau qui sortent des barils et qui tombent dans une espèce de cuve qui sert de réservoir pour recevoir tout ce qui sort des barils ou des presses ...
On place sur le bout du haut du baril qui est ouvert un faux-fond de bois de l'épaisseur de 7 à 8 pouces et ensuite quelques petites traverses de bois qu'on multiplie à mesure que les sardines s'affaissent, et au-dessus, on met le levier au bout duquel on place une planche suspendue avec de petites cordes, comme un des fonds d'une balance, que l’on charge de pierres et d'autres poids pour faire un poids convenable et suffisant sur les sardines du baril, et on augmente ce poids à mesure qu'elles se pressent, en remplissant: de tems à autre le haut du baril jusqu’à ce que la presse soit achevée et le baril rempli comme il doit être. (2)
(2) ADM (9 B 257)

Le paludier de Séné, quant à lui, salait les anguilles qu'il pêchait lors du rayage des vasières (opération qui consistait à assécher les vasières pour enlever la vase molle et les végétaux qui s'y étaient accumulés).

Les anguilles pêchées dans les vasières étaient pour partie conservées dans le sel et pour partie vendues au bourg de Séné.

" On commençait par les trier. 'Elles étaient salles et mises dans un charnier comme le cochon. Les plus belles anguilles, on mettait ça dans un fût de bois : une demi-barrique, en couches, bien salées.
'Et en hiver on les griffait sur le feu de bois et on tes mangeait avec des pommes de terre chaudes Le soir. On les mettait un peu à dessaler avant, parce que le sel s'était tellement imprégné qu'on aurait eu du mal à les manger. "
" On attelait le cheval au char à banc et on allait tes vendre au bourg de Séné et dans le Grand Village tous les jeudis soirs. Comme vendredi, en ce temps-là c'était le jour du poisson, on n'avait pas de mai à les vendre. C'était commandé à l’avance. La grosse partie était pesée à la maison, par deux, ou trois kilos pour les familles qu'on connaissait. "
(Témoignage de Ferdinand Quester)

f 13

Les tanneurs employaient le sel pour le traitement et la conservation des peaux.
Requête des bouchers de Pluvigner présentée par le maire en 1807 au Préfet du Morbihan.

Salaison des produits laitiers
Sur tout le littoral atlantique, on sale le beurre, autrefois pour le conserver, aujourd'hui pour satisfaire le goût du consommateur. Le beurre salé amanenn sall est toujours préféré, en Bretagne au beurre doux amanenn douss
"La crème était battue dans des barattes verticales, le plus souvent en bois cerclé, parfois en terre dont on laissait retomber en cadence le bâton de baratte, ar vazh – ribot. Par la suite, vinrent différents modèles en bois plus aisés à utiliser: parfois toute fa baratte tournait sur son axe....
Les mottes étaient ensuite mises en forme et décorées à la cuillère de bois ou avec des marques en buis,"
(3) Boued, expressions culinaires - Patrick Hervé

Le sel n'a pas seulement été utilisé dans l'alimentation humaine ou animale. Au Moyen Age dans certaines régions on plongeait les bois de charpente dans de la saumure pour favoriser leur conservation.
En médecine, il servait aussi dans la préparation de potions.
Pline dit que le sel guérit des morsures de serpent, des piqûres de scorpion, les ulcères et les verrues.

Conservation et traitement des peaux
Les tanneurs employaient le sel pour le traitement et la conservation des peaux
En août 1807, le maire de Pluvigner écrit au Préfet du Morbihan pour lui présenter la requête des bouchers de sa commune qui souhaitent pour le salage des peaux "être autorisés à acheter avec les fabricants de sardine les sels qui sont jetés à la mer à la sortie des presses.
Ces sels sont meilleurs pour la conservation des cuirs et la régie des Douanes ne peut avoir la crainte qu'ils soient employés à une autre destination. "
A.D.M ( P 207)

Fabrique de produits chimiques
A partir du XIXème siècle, l'industrie chimique sera grande consommatrice de sel.
En 1852 Mrs La Gillardaie, frères et Cie, négociants à Vannes souhaitent établir une fabrique de produits chimiques à Séné. Ils obtiennent en avril 1853 "L'autorisation d'établir au lieu-dit La Garenne près du village de Montsarrac en la commune de Séné, une fabrique de produits chimiques, tels que sulfate de potasse, chlorure de potassium cristallisé, alun, nitrate de potasse, iode, brome, iodures, bromure."
A.D.M ( 5M 223 )

Le besoin d'argent des chanoines du chapitre de Vannes

En 1720 les Chanoines du Chapitre de Vannes avaient perdu beaucoup d'argent dans la banqueroute de la banque Law. De nombreux capitaux leur avaient été remboursés en billets de banque et ces billets perdirent en très peu de temps leur valeur.
D'autre part, le bas chœur de la cathédrale avait besoin de travaux urgents.
Ils pensent trouver une solution à leurs ennuis financiers en créant des salines à Séné sur des terres bordant la rivière de Noyalo et faisant partie du domaine maritime royal.
Au nom du Chapitre, Mgr Antoine FAGON [1665 Paris – 16/2/1742 Plescop], évêque de Vannes (1719-1742), fils du premier médecin de Louis XIV, sollicite du roi Louis XV la concession de ces terres.

En Conseil d'Etat, le 7 février 1 721, le roi accède à cette requête et "accorde aux doyen, chanoines au chapitre de la cathédrale de 'Vannes la jouissance à titre d'inféodation, d'un terrain inculte que la mer couvre de son reflux chaque jour, situé clans la paroisse de Séné. . . terrain accordé pour soulager une pauvre cathédrale. "
A.D.M(69 G 1)
L'annonce en est faite "aux prônes des églises des paroisses voisines dudit terrain" trois dimanches consécutifs afin de permettre à ceux qui s'y opposeraient: riverains et autres voisins, de faire appel de cette décision.
Ces "bannies" eurent lieu à Séné, ainsi qu'à Saint Patern et Noyalo, "les dimanches 18 et 25 mai et 1er juin 1721"
Voir A.D.M (69 G 1)


Un milieu favorable
Le choix des Chanoines s'expliquent aisément. Dans la presqu'île de Guérande, depuis le IXe siècle, l'industrie du sel était florissante.
En 854, le Comte de Vannes, Paskweten avait fait don aux religieux de Redon de terrains sis à Guérande pour y établir des salines.
Les moines de l'abbaye de Saint Sauveur de Redon et de l'abbaye de Prières exploitaient eux aussi depuis longtemps des salines en presqu'île de Rhuys et à Billiers
Le 4 novembre 1 725, cinq paludiers: Jullien Jaunais, Jacques Richard, Jan Le Heudé, Pierre Briant et Louis Landay venus de Saillé et de Batz sur mer, après "avoir vus et visités ledit terrain ", déclarent : "unaniment qu'il est propre pour faire des maraix salans et que les dits sieurs au chapitre ne peuvent faire une chose plus utile et plus avantageuse pour eux que de faire travailler incessamment à la construction des dits marais "
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Procès verbal fut rédigé en l'étude de Maitre Le Dréan, notaire royal à Vannes.Les paludiers déclarant" ne savoir signer" donnèrent procuration de signature à cinq vannetais présents. A.D.M ( 69G 1)

2 CONSTRUCTION DES SALINES

L'arpentage du terrain
Le 21 juillet 1723 la Chambre des Comptes de Bretagne désigne Maître Couradin pour procéder avec un arpenteur au mesurage des terrains sur lesquels seront construites les salines
Le 2 mai 1724, Messire François Bachelier chevalier, Seigneur de Bercy, Conseiller du Roi et les autres membres de la commission constituée à cette fin: Olivier de Kermasson, conseiller du Roi, substitut du procureur du Roy et maître Julien Le Simple, huissier ordinaire de la Chambre des Comptes de Bretagne, quittent Rennes pour Vannes. Ils y arrivent le 3 mai sur les sept heures du soir. A une distance d'une demi lieue de la ville ils sont accueillis par "les nobles et discrets messires Pierre Dondel et Hyacinthe Huchet chanoines " venus faire de la part du chapitre "les compliments de bienséance". Ceux-ci les engagent "à prendre place avec eux dans un carrosse venu à cet effet". Ils les conduisent rue Notre Dame paroisse du Méné où un logement a été préparé et où d'autres chanoines ":Messires Augustin de Langle, Joachim Eugène de Trevelec et Jean Baptiste Maurice "les attendaient pour leur présenter, eux aussi leurs civilités.
Le lendemain le 4 mai, Maitre Julien Le Ray greffier des juridictions des réguaires de Vannes, chargé de rédiger le procès verbal et Maitre Pierre Julien Moreau priseur et arpenteur au présidial de Vannes prêtent serment de "bien et fidèlement se comporter" dans leur mission et vers 8 heures, ils partent tous, accompagnés par l'un des chanoines Messire Jean Baptiste Maurice.

L'arpentage dura deux jours. Procès verbal de mesurage et de débomement de salines 3 et 4 may 1724
A.D.M ( 69 G 1 )

La construction proprement dite de 1 725 à 1742
La construction des salines ne commença pas immédiatement après l'ar¬pentage à cause de divergences de points de vue entre les chanoines. Certains étant semble-t-Il sceptiques quant au résultat de l'entreprise
En 1725, les notaires royaux à la demande de Mgr Fagon mettent en de¬meure le Chapitre de commencer les travaux.

Le 4 novembre 1725, afin sans doute de prévenir toute contestation ultérieure, les paludiers qu'on a fait venir de Batz sur mer et de Saillé déclarent le terrain propre à édifier des marais salants et procès verbal est dressé (voir plus haut).
Dès le 25 mai 1725 Julien Jaunais, Jacques Richard et Pierre Brian avaient été embauchés comme paludiers entrepreneurs pour un salaire mensuel de 25 livres chacun. En octobre 1725, ils furent rejoints par Gui¬gnolet Guénésan à qui on versa 2 livres pour le voyage de Guérande à Séné.
Ces entrepreneurs de marais étaient des paludiers chevronnés qui quittaient provisoirement leur exploitation pour aller ailleurs construire des salines.
Véritables architectes, ils devaient créer et modeler l'espace en fonction de l'état des marais préexistants et de nombreux paramètres: niveau des marées qui conditionne l'alimentation en eau de mer, orientation des œillets pour tenir compte de l'ensoleillement et des vents dominants, calcul de la capacité des réservoirs en fonction du nombre d'œillets prévus.
La quantité de sel produite sur une saline dépend de l'exactitude des observations faites sur les lieux : certaines salines seront plus productives que d'autres.
"Professionnel de fa saunaison, observateur méthodique, créateur et modeleur d'un espace nouveau, le paludier entrepreneur est à la fois technicien et artiste. Il doit également être un chef capable de diriger un grand nombre d'ouvriers."
Pierre Dalido (Cahiers d'Histoire Maritime du Morbihan N°23) :

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Un vaste chantier
De nombreux comptes tenus avec soin nous livrent une foule de renseignements et nous donnent ainsi une idée de l'importance du chantier.
"Compte que rend Monsieur Nebout tant en charge qu'en décharge des sommes qu’il a touchées par ordre de monseigneur l’Evesque de Vannes pour faire construire des salines dans le terrain que sa Majesté a accordé au chapitre dans la paroisse de Séné 1725 "
"Compte que rend Monsieur Nebout Chanoine des sommes qu’il a touchées du clergé par ordre de Monseigneur l'Evesque de Vannes pour la continuation des ouvrages des salines dans ce terrain que sa majesté a accordé au chapitre et ce depuis le compte qu’il a rendu au chapitre le 28 février 1727 "
"Registre des marchés fait pour la continuation des salines et payemens janvier 17 30 "

Pour débarrasser les marais de toute leur végétation, pour creuser les réservoirs (vasières et cobiers) pour "lever les fossés" (édifier les talus) et" les ponts " (petites diguettes -cloisonnant les salines et séparant les œillets, bassins où le sel se cristallise) , une main d'œuvre considérable a été employée, constituée de " journaliers " recrutés à Séné et dans les paroisses voisines.
Les appels d'offre étaient, sans doute, faits aux prônes du dimanche dans les églises et les chapelles.
Monsieur Julien Cougan, le curé de Séné, * est appointé par le chapitre et" reçoit 15 livres par mois pour veiller sur les ouvriers.
Le salaire des journaliers était de 8 sols pour la journée pour les hommes et de 5 sols seulement pour les femmes l**
* *En Bretagne, le curé est en fait le vicaire. Le recteur est Pierre Le Neveu
** Une bouteille de vin rouge coûte 10 sols, un bouteille de vin blanc 5 sols, un pain 5 sols ("Compte du vin que jay fait donner aux paludiers par ordre de monsieur l’Abbé Morice juillet 1731 "A.D.M 69 G 3
Sur une autre note: ''payé k 2 mais de bouteilles de vint blan et un costellest de larre 1 livre 5 sols 1730 "A.D.M ( 69 G 2)

Le salaire journalier sera porté à 10 sols en 1 738 (Compte de réparations faites aux salines 1738 A.D.M. (69 G 2 )

Le 23 juin 1725, pour une semaine, 934 livres furent payés pour" travaux de journaliers"
En comptant six jours de travail par semaine à 8 sols la journée, on peut estimer à 390 à 400 le nombre de journaliers travaillant certains jours sur les marais. •

Après les gros travaux de terrassement, on peut passer à la réalisation beaucoup plus technique et délicate des salines.
Cela se fait sous la direction des entrepreneurs de marais et de paludiers venus de Batz sur mer pour la plupart. Ces paludiers prirent ensuite en char¬ge l'exploitation des marais salants pour le compte du Chapitre.
D'autres corps de métiers intervinrent aussi: bûcherons et charpentiers:
Les réservoirs (vasières et cobiers) sont séparés de la saline proprement dite avec ses bassins de concentration (fares et adernes) et ses œillets par un talus que l'eau de mer franchit à travers un conduit souterrain.

Ces buses, qu'à Séné on appelait des tuits ou thuys (cui à Guérande), étaient:
-ou deux demi troncs d'arbres creusés à l'herminette et assemblés l'un sur l'autre et calfatés: "alloué de la somme de cent lires payée au sieur Danet suivant la quittance du 27 avril 1727 pour un tronc d'arbre de quarante pieds de longueur et de onze de grosseur pour faire deux tuits de vasière" *
A.D.M (69 G 2)

Pour les fabriquer, on alla chercher des bois jusqu'à Auray : "alloué de la somme de soixante quatorze livres payée le 30 avril à Jean ROZO et consorts charpentiers pour avoir exploité ledit arbre et amené d’Auray aux salines " A.D.M (69 G 2)
- ou des tuyaux de bois de section carrée et formés de 4 planches clouées les unes sur les autres
"alloué de la somme de cinquante deux livres seize sols pour huict planches de bordage de 2 pousses d'épaisseur et de 22 pieds de longueur pour faire 2 tuits pour la saline à six sols le pieds le 22e mars 172 7 "*
"alloué de la somme de huict livres payée à Danet le 5° avril 1727 pour la façon des dits tuits et avoir fourny les clouds,"
Dans les planches de l'extrémité des tuits des trous étaient percés et selon le débit d'eau souhaité, on obturait plus ou moins de trous avec des chevilles de bois
* un pied = 0, 325 m un pouce = 0,027 m 40 pieds = 13 m ; 11 pieds = 3,575m
22 pieds= 7, 15 m; 2 pouces= 5,4 cm

f 21a
Les tuits ou thuys (XVIII°siècle) (cui à Guérande)
Ce sont des buses de bois permettant le franchissement des talus qu’on appelle fossés à Séné.
A l’extrémité des tuits des chevilles de bois obturant les trous pratiqués dans les planches fermant le conduit permettent de régler le débit de l’eau.

f 21bSaline du Grand Daulan

3-PRODUCTION DU SEL

Comment produit-on le sel ?

" Pour mettre en réserve l'eau de mer qui est la matière première des marais salants que l'on appelle aussi saline, les paludiers ne la puisaient pas dans la mer. Ils profitaient des grandes marées. Quand la marée monte au plus haut, elle pénètre dans un long canal: l'étier, puis dans un grand bassin : la vasière. Une trappe, empêche ensuite l'eau de quitter la vasière pour redescendre dans la mer.
L'eau de la vasière n'est pas utilisée immédiatement. On la laisse décanter (les vases et les sables qu'elle contient se déposent au fond). L'eau passe ensuite dans les bassins plus petits: les gobiers, avec des petits murs en chicane, où les vases finissent par se déposer.
En ouvrant ou en fermant la porte de sortie des gobiers, les paludiers règlent l'entrée de l'eau de mer dans la saline quand ils en ont besoin. Une seule vasière peut alimenter en eau de mer plusieurs salines voisines.
Chaque partie de la saline est légèrement en contrebas de la précédente et l'eau s'y écoule sous l'effet de la pente. Mais de nombreuses chicanes ralentissent son écoulement.
L'eau parcourt un véritable labyrinthe aux parois d'argile, faisant le tour de la saline dans des bassins appelés fares.

Sous l’effet du soleil, la température s’élève et à cause de l’évaporation la concentration en sel augmente peu à peu.
Quand l'eau a parcouru tout le circuit des fares, elle est admise dans les adernes, réserves d'eau très salée, où elle se décante encore avant d'entrer dans des bassins plus petits: les œillets où le sel cristallise et est récolté. Sur chacune des séparations d'argile entre les œillets est ménagée une petite plate-forme d'argile. La ladure sur laquelle le paludier dépose le sel qu'il vient de récolter.
* un œillet mesure environ 6 mètres sur 9

La récolte du sel
La récolte du sel se fait en été, de juin à septembre suivant le temps qu'il fait.
Le soleil et le vent étant les forces nécessaires pour l'évaporation de l'eau, plus l'été est chaud, ensoleillé avec du vent, plus la récolte est abondante.
Le paludier fait le tour de l'œillet en poussant l'eau avec le las, le sel qui s'est cristallisé s'amasse devant son outil.
Le sel est ramené au bord de la ladure puis remonté. Il formera un petit tas que le paludier laissera égoutter avant de le transporter sur un gros tas, le mulon.
A la surface de l'eau, se forme une mince couche de sel blanc, plus fin que l'on appelle fleur de sel. Ce sel est cueilli à l'aide d'un autre outil, la lousse. Il est récolté à part.
Les marais salants bretons Bibliothèque de travail N° 944 Publications Ecole Moderne Française

Les outils du paludier à Batz-sur Mer :
Les noms de ces outils sont ceux employés à Batz-sur-Mer. Dans l'état actuel de nos re¬cherches, rien ne prouve que ces termes soient les mêmes que ceux utilisés à Séné.

Le paludier possède différents outils auxquels il donne des noms particuliers

Le las est l'outil le plus utilisé. Sa planchette présente un bord biseauté pour pousser le sel. Le paludier se sert de l'autre bord quand il tire le las au fond de l'œillet

1- la lousse à sel fin qui sert à cueillir la fleur de sel à la surface de l'œillet.

2- la cesse, écope à main utilisée pour vider l'eau des salines.

3- la lousse à ponter pour relever la va¬se et refaire la bordure des œillets.
4- le boutoué pour pousser la vase.

5- le las (rable ou rouable à Séné) au manche très long (5 m) qui permet de pousser ou de retirer le sel de l'œillet.

6- les salgaies, planchettes qui servent à ramasser le sel sur la ladure.

7- le batoué qui servait autrefois à tasser et lisser l'argile dont on recouvrait les mulons: les tas de sel, pour les protéger des intempéries.

Une production aléatoire :

Les paludiers récoltaient deux sortes de sel : La fleur de sel appelée aussi sel blanc, sel menu ou sel fin formée de cristaux légers et très fins flottant en larges plaques à la surface de l'eau et récoltée à l'aide d'une lousse à sel fin. Le sel gris ou gros sel se formant au fond de l'œillet remonté sur la ladure avec le las.

La production de sel est tributaire des caprices de la nature. La culture du sel ne durant au mieux que trois mois environ, quelques jours de pluie suffisent pour tout compromettre.
"Il y a des années où on ne faisait pas 50 kilos de sel. C'était très rare mais c'est arrivé. Ou en mi-saison après avoir fait 20 tonnes de sel tout d'un coup, un orage et le temps devient pluvieux et la saison s'arrête là parce qu'il y a trop d'eau douce qui vient avec l'eau salée donc ça ne donne plus de sel."
Témoignage de Ferdinand Quester
"Il a des années où il n’y a pas du tout de sel. S'il y a un brouillard, même le soir: j'ai vu des marais salants plein de sel: le brouillard est venu vers cinq heures. En une heure tout a été fondu. Il n’y avait plus rien
"Cinq années de rang, mes parents n'ont pas fait de sel à cause de la pluie"
Mme Le Goueff (Pénestin) recueilli par D Quéval et M Chouzier.

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Production de sel au XVIIIe siècle
Les quatorze chanoines du chapitre: MM Le Govello, du Bois, Boutouillic, Mercier, Maurice, Dondel, de Langle, Nebout, Ragot, Le Vallois, Huchet, Verdoye, du Clos Bossard, de Coëtlogon se partagèrent une partie des œillets des salines, chacun recevant en partage un nombre à peu près égal d'œillets. La récolte du sel en était à leur disposition.
Une autre partie des salines était réservée à la" mense capitulaire". La men¬se était le patrimoine collectif du chapitre dont les revenus lui permettaient de faire face à ses obligations : entretien de la cathédrale, frais d'ornements, de cérémonies etc ...
Les chanoines embauchèrent des paludiers pour exploiter leurs œillets. En 1 728 sur les salines déjà réalisées, Pierre Lino, Yves Le Calo, Jean Chapon, Loiseau, Louis Landet commençaient à tirer le sel.


En 1749 ils étaient 24 : Guillaume Uzel, François Mouilleron,  Mathurin Loiseau, Jan Landais , René Calo, François Régent, René Cadro, Nicolas Thomer,  Jan Chapon, Yvon Calo, Pierre Lino, Silvestre Le Duc, Aubin Richard, Yves Bourdic, Pierre Lacroix, Nicolas Laurent, Yves Landais, Jacques Calo, Paul Calo, Jacques Le Gars, Nicolas Chelet, François Le Duc, Thomas Clevet, Jan Le Cocq. Et près d'une quarantaine en 1 762.

Dès 1726 on se préoccupa d'être prêt à ramasser le sel comme le montre ce compte du chanoine Nebout.
"alloué de {a somme de six livres quinze sols pour quatre grandes gesdes et deux paniers pour porter le sel payée le 30 juillet 1726 "A.D.M 69 G 2
Il semble que c'est en 1726 qu'eut lieu la première récolte
Le" Mémoire Des Sels qui restent sur les fossés des salines de Messieurs du Chapitre de l'année 1728 suivant l'estimation qu'en ont faites les Paludiers " nous donne en mesure de Rhuys et en mesure du Croisic les quantités de sels récoltées. Au total 205,5 muids, mesure du Croisic, soit 616,5 tonnes.
un muid de Rhuys = 3 800 kilos ; un muid du Croisic = 3 000 kilos

Production de sel au XIXe siècle
Dans sa réponse à une enquête de la préfecture du Morbihan adressée le 20 octobre 1845, Mr Le Douarin, le maire de Séné signale que la quantité de sel existant sur les marais est de 197 muids dont 131 provenant de la récolte de 1845.
Le prix moyen auquel se vendaient les 1000 kilos de sel était de 50 francs. La même quantité était vendue 60 à 70 francs à Sarzeau et 80 francs à Carnac.

Au recensement de 1841 on dénombre 91 paludiers s'occupant de 10 à 56 œillets :
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Reconstitution d’un mouët, mesure à sel du XVIII° siècle
à partir d’un document graphique daté de 1767 et de textes de 1785 et 1798.

Le sel jusqu’à la fin du XIX° siècle se vendait non pas au poids, mais à la mesure. Le sel s’achetait au muid. Le muid était évalué grâce à une mesure de bois : le mouët. Le muid du Croisic valait 22 mouëts.
Le mouët était utilisé sur le marais salant. La mesure était sur « pieds » (pour la décoller plus facilement de l’aire de travail) ; le fond du cylindre était plus épais que les parois et il était soutenu par de solides longerons pour éviter qu’il ne ploie sous l’effet de la charge de sel (150 à 180 kg).

D’après Notes pour servir à la reconstitution d’un mouët » Gildas Buron.

Fin partie 1/2