Yvon Dufrêne - Sept.1996
Histoire des marais salants de Séné (suite et fin)
4 VENTE DU SEL
Mesure des sels
Après les premières récoltes de sel, les chanoines se préoccupèrent de vendre celui-ci. Pour cela il fallait le mesurer. On alla chercher au Croisic un mouët : mesure qui était une sorte de cuve en bois, cylindrique, à six pieds pouvant contenir environ 150 kilos de sel.
Le chanoine Nebout en nota scrupuleusement la dépense:
"Alloué la somme de vingt quatre livres payée {e 10 octobre 1728 pour un mouët achepté
au Croisic pour mesurer le sel " A.D.M 69 G 2 (7)
1764 1 muy du Croisic= 22 mouëts
1785 1 mouët = 10 quartaux; 1 quartau= 15 kilos
Avant cet achat, on trouve trace aux archives départementales du Morbihan d'une vente de sels en septembre octobre 1727. Les mesures étaient alors celles traditionnellement employées pour les grains: godelée et perrée.
1 godelée, mesure de Vannes= à peu près 10 litres
1 perrée = à peu près 160 litres
"Lundi 16 7 bre vendu 2 godelés et demy de set sept sols et six deniers
Le 19 vendu une pairé deux livres huits sols," A.D.M ( 69 G 3)
Dès 1730, les salines rapportaient déjà 3185 livres au Chapitre et en 1765, elles donnaient un revenu net de 15 556 livres.
Transport et stockage
Le sel une fois égoutté sur la ladure était ramassé. Il était transporté dans des grands récipients en bois ou en paille tressée appelés gèdes ou plus tard dans des sacs.
On remplissait ses gèdes ou ses sacs à l'aide de deux petites planchettes : les salgaïes.
Les gèdes étaient portées sur la tête posées sur un morceau de tissu torsadé roulé en spirale, la torche. Les sacs étaient portés sur l'épaule. A Séné, on disait que les paludiers se reconnaissaient à ce qu'ils avaient une épaule plus basse que l'autre.
Pour ramasser le sel, il fallait être deux: pour tenir le sac ouvert, charger le sac sur l'épaule ou poser la gède sur la tête.
Le sel était porté depuis la ladure jusqu'à un terre- plein où il était mis en tas. Ces tas, les mulons avaient une hauteur d'environ 3 mètres sur une largeur de 5 mètres.
" Dans chaque ruche * on pouvait mettre à peu près une trentaine de kilos. Entre la ruche et la tête, on plaçait un rond de grosse toile Après on s’est mis à porter au sac. Alors les épaules attention!
* ruche : gède de paille tressée
Les gars, ils avaient fa peau tannée. Les gars au sel, ils étaient là dedans du matin au soir. Ils avaient les mains et les pieds. . . ils marchaient pieds nus tout le temps, hein, ces gars là.
Ah ! il fallait monter la digue, hein. C'était dur. C'étaient vraiment des bonshommes costauds qui n'étaient pas nourris comme maintenant. C'était le pain et le fard et la bouteille d'eau, c'est tout."
Témoignage de Ferdinand Quester
Vestiges d'une salorge à Michotte
A la fin de l'été, il fallait mettre le sel à l'abri des intempéries.
Au départ, le stockage se faisait directement sur le marais. Le mulon était recouvert de végétaux et d'une couche de vase ou de terre. Puis au XIX° siècle de grands greniers à sel, les salorges, furent construits par les négociants propriétaires des marais
"'En général le sel ne restait pas sur les digues. A ce moment-là il y avait ce qu'on appelait les salorges, des bâtiments où on mettait le sel. Il en existait une à la Belle Etoile qui a été abattue quand on a construit la cité. Il y en avait sur les marais de Kerbiscon et il y en a encore une en ruines que l'on peut voir dans les marais de Michotte. Les tas de sel étaient achetés par des marchands de sels et ils l'emmagasinaient là dedans."
Témoignage de Ferdinand Quester
Après la fermeture des salorges on reprit l'ancien système:
" le sel restait donc sur les marais en tas pour le garder l’hiver, on coupait des mottes en rond sur le marais et on en fais ait un toit en commençant par le bas comme on fait une toiture, Le sel étant bien tassé, et couvert par ça, l'eau ne rentrait plus dedans. Il passait l’hiver et au printemps, on le vendait. C'était pris par des collectivités. Moi ce que j'ai connu le plus c'est la maison Le 'Douarin de 'Vannes, épicerie en gros qui nous achetait le sel"
Témoignage de Ferdinand Quester
Au bas de ce document daté de 1904, figurent deux magasins à sel (salorges) où les bateaux venaient par la rivière de Noyalo charger le sel.
Le Syndicat des salines de l'Ouest présidé par M. de Limur demandait l'autorisation de construire un pont pour permettre l'accès au chemin de Brouelle:
" Les expéditions de sel se faisaient autrefois par mer, le magasin en question n'a pas été relié à la terre."
Destinations
Au XVIIIème siècle la plus grosse partie des sels est exportée vers l'Espagne. Les bateaux sont originaires de Pénerff, de l'Ile aux Moines et jaugent de 40 à 100 tonneaux .
Si on prend pour mesure celle de Rhuys: 1 muid = 3 800 kilos (au début du document est indiquée la mention "grande mesure") on trouve un tonnage global de 854 tonnes environ (quarante quatre tonnes sur l'Anglots, et cent soixante sur le Griffon Volant)
Les sels étaient exportés aussi vers la Suède comme en témoigne la requête adressée à l'Amirauté de Vannes le 13 octobre 1766. Elle relate les difficultés qu'ont les Chanoines à faire charger leurs sels sur un bateau suédois par: ''Jacques Doriot ait Steval Pierre Leduc demeurant au village de Kerarden en paroisse de Séné, Ives Lefranc et Benoit Lefranc demeurant au village de Montsarrat tous bateliers de la paroisse de Séné "qui refusent de transporter le sel depuis les marais jusqu'à Roguédas pour le prix de 2 livres par muid.
A.D.M (69 G 4)
Au XIXème siècle, le commerce des sels avec l'Espagne semble avoir cessé. Des navires de petit tonnage, descendent vers Nantes, Libourne et Bordeaux avec une cargaison de sel et remontent avec de la résine, du vin, de l'eau de vie ou des prunes.
Après la chute de Napoléon et la fin du blocus maritime imposé par l'Angleterre le commerce avec les pays nordiques avait pu reprendre.
Les bateaux norvégiens en particulier apportent la rogue (appât nécessaire à la pêche à la sardine), des bois, de la résine et repartent chargés de sel pour les ports d'Alesund, de Christiansand ou de Ber¬gen.
La rogue était des œufs de harengs, de morues, ou de maquereaux mélangés à de la saumure. Bergen, en Norvège était le centre principal de sa fabrication.
En 1820, tous les quinze jours, le directeur des Douanes de Lorient fait son rapport au Préfet du Morbihan, le Comte de Chazelles, sur les bateaux étrangers venus charger des sels:
" 'Une galiotte hollandaise: une goélette, un sloop et un brick norvégien sont venus apporter de la rogue dans les ports de ma 'Direction. Ces navires qui sont les seuls bâtiments étrangers qui aient paru sur [es côtes de votre 'Département s'en sont éloignés avec des chargements de sel." 19 août 1820. A.D.M (P 207)
LE PRIX DU SEL
Au XVIII° siècle
En 1 730, la mense capitulaire vend 124 muids 2/3 pour la somme de 4528 livres 6 sols et 8 deniers, soit 35 livres 15 sols le muid.
Dans le " Compte particulier des sels de la saline de 124 œillets appartenante cy devant à Mgr de Pressac pour les années 1764-1765 les dits sels vendus à Mr du Bodan" le muid de 22 mouëts, mesure du Croisic, vaut 50 livres soit 2 livres 7 sols et 8 deniers le mouët.
A.D.M (69 G 3)
Le prix du sel fluctue, d'une façon importante parfois, suivant les quantités de sel récoltées, la période de l'année, la demande. Ainsi dans le" Livre rentier" tenu pour le Sieur Pierre Augustin de Cramezel on trouve le détail des prix des sels" certifiés juste au Croisic en octobre 1868"
Si le muid de sel coûte 28 livres et 26 sols en août 1750, il vaut 67 livres en 1 751, 75 livres 85 sols en 1 752 et 24 livres en 1753. En octobre, novembre, décembre 1 751 et janvier 1 752 le muid atteint le prix de 100 livres ; mais en 1755, il ne se négocie plus qu'à 16 livres en juillet et 15 livres en août.
A.D.M (B 770)
Au XIX° siècle et au XX° siècle
En 1833-1834 le prix moyen du sel à Vannes est de 35 centimes au kilo pour le sel grts et 40 centimes pour le sel blanc ou raffiné. En 1838, 100 kilos de sel grts en gros sur les marais valaient 30 francs. Chez le détaillant 1 kilo valait 40 centimes et le sel raffiné au détail 65 centimes. Les prix variaient notablement d'une commune à l'autre
Prix des sels en 1845 : à Sarzeau les 1 000 kilos se vendent 60 à 70 francs ; à Ambon et Surzur 70 francs ; à Carnac 80 francs ; à Baden 80 francs ; à Pluneret 90 francs ; à Billiers 300 francs le grand muid
(le muid du Morbihan étant de 4 000 kilos, les 1000 Kg valaient 75 francs).
Ce qui faisait un prix moyen de 7,5 francs les 100 Kg. AD.M.(S255)
Ces prix ne cesseront encore de baisser après 1848.
Revenu du propriétaire et salaire du paludier dans l’ouest 1845 à 1865
Ainsi à Séné le prix de la tonne de sel a chuté de 50 francs en 1845 à 10,50 francs en 1861.
5 LE SEL UN PRODUIT TAXE ET CONTROLE
"L'origine de l'impôt sur le sel remonte à la plus haute antiquité. Introduit dans les Gaules à la suite de la conquête romaine, l'impôt sur le sel, fit partie au Moyen-âge des droits seigneuriaux, avant de devenir au XIV° siècle dans les mains des rois de France, sous l’appellation. De « gabelle du sel" l'imposition la plus durable, la plus constante, la plus éprouvante et donc la plus honnie dans la France d'avant 1789."
Gabelle et gabelous
Catalogue d'une exposition réalisée par le Musée des Douanes établi par Michel Boyé conservateur
C'est en effet au XIVe siècle sous le règne de Philippe VI de Valois que remonte la création du monopole du sel et l'établissement définitif de l'impôt en France (Lettres du 20 mars 1342 et ordonnance du 15 février 1345)
En mai 1680 fut signée à Saint Germain en Laye l'Ordonnance qui demeura jusqu'à la chute de la monarchie la Charte de la Gabelle.
L’union de la Bretagne à la France ratifiée à Nantes en 1532 se fit à la condition expresse que la province serait à jamais exemptée de tout impôt sur les sels et elle conserva ces franchises en 1680.
Sous l'Ancien Régime: gabelous et faux sauniers
En Bretagne, province franche le minot de sel ( 52 1) coûtait entre 1 et 3 livres alors qu'en Mayenne, en Anjou, en Touraine et dans le Maine , pays de grande gabelle, il valait entre 58 et 60 livres.
Cet écart considérable était une véritable provocation et la contrebande et la fraude firent rage aux marges de la Bretagne.
Le sel sur lequel la gabelle n'avait pas été acquittée s'appelait le faux sel d'où le nom de faux sauniers donnés aux contrebandiers du sel.
Un des plus célèbres de ces faux sauniers fut sans doute Jean Cottereau dit Jean Chouan qui fut sous la Révolution l'un des chefs de l'insurrection appelée à cause de son surnom la Chouannerie.
La Ferme Générale chargée sous l'Ancien Régime de percevoir la gabelle employait pour essayer de juguler la fraude une véritable armée de gabelous.
A la fin du XVIIIe siècle, sur l'ensemble du territoire, la Ferme alignait 15 000 hommes (soit cinq fois plus que la Maréchaussée).
Le faux saunage était puni très sévèrement. Les contrebandiers en bande, au nombre de 3 et au dessus, armés de fusils, pistolets, baïonnettes, épées, bâtons ferrés ou autres armes, étaient condamnés à la peine de mort, les autres aux galères.
Les faux sauniers sans armes étaient passibles d'une amende de 200 à 300 livres qui à défaut de paiement était convertie en peine de 3 à 6 ans de galères (9 ans avec flétrissure, c'est à dire marquage au fer rouge à l'épaule, en cas de récidive).
Pour les femmes, les peines de galères étaient remplacées par des peines de fouet et de bannissement hors de la région.
Les enfants tombaient sous le coup de la loi à partir de 14 ans (déclaration du 12 juin 1722). De 1680 à 1748, 11 000 faux sauniers furent envoyés aux galères.
Documentation:
Gabelle, gabelous Michel Boyé, Nelly Coudier (Musée des Douanes )
L'A venture du Sel Micheline Huvet- Martinet (Editions Ouest - France )
Séné, située loin des pays de grande gabelle, ne fut guère concernée par la contrebande du sel. Il fallut attendre , après la suppression de la gabelle en 1790, le rétablissement en 1806 par Napoléon Ier d'un nouvel impôt sur le sel pour voir les marais se couvrir des casernes, corps de garde , guérites et cabanes des préposés des Douanes impériales.
L'impôt sur le sel de 1806 à 1945
Les campagnes napoléoniennes coûtaient cher et l'Empire pour augmenter ses ressources fiscales pensa à nouveau à l'impôt sur le sel.
L'Etat n'aurait plus le monopole de la vente du sel comme sous l'Ancien Régime mais un droit d'enlèvement du sel sur les marais serait établi.
Par décret du 16 mars 1806 un nouvel impôt fut créé qui instituait un droit de 0,10 francs par kilogramme sur" les sels provenant soit des marais salants, soit des salines et fabriques de l'intérieur."
Ce droit fut porté, dès le 27 mars, à 0,20 francs.
Dans le même temps on se préoccupa des modalités de recouvrement de l'impôt et le 11 juin 1806, un autre décret stipula que la surveillance des préposés des douanes s'exercerait "jusqu'à la distance de trois lieues de rayon des fabriques et salines de l’intérieur."
Les marais salants furent étroitement surveillés par une armée de douaniers. Les douaniers à pied, les matelots des douanes sur leurs "pataches" et les brigades à cheval créées en 1807 assuraient la garde des marais. A.D.M ( P 207 )
Le 20 septembre 1809 un décret fixa les conditions d'enlèvement: le paiement des droits était certifié par la délivrance au Bureau des Douanes (à Séné, il était situé à la caserne des Quatre Vents) d'un acquit de paiement qui donnait la quantité de kilogrammes de sel sur lesquels les droits avaient été payés, indiquait le lieu de destination, le moyen de transport et fixait le délai pour parcourir la distance.
Il fallait pouvoir présenter ce document à toute réquisition des douaniers.
Ces douaniers, il fallut les loger et cela se fit tout d'abord, non sans conflit parfois, chez l'habitant, grâce au droit de réquisition dont disposait le préfet. Mais, très vite on entreprit la construction de casernes.
A Séné on compta trois casernements principaux aux Quatre vents, à Kerbiscon (près de Balgan) et à Billorois (dans l'île de Mancel.)
Au mois d'août 1809 furent dressés les procès verbaux de réception des casernes des Quatre Vents et de Kerbiscon. A.D.M (P 203)
C'était la caserne la plus importante, où se trouvait le bureau du receveur général. Vendue dans les années 30, elle fut un temps une colonie de vacances. C'est aujourd'hui une maison particulière.
Lors du recensement effectué en 1841 on dénombre 98 douaniers dont 31 dans la seule caserne des Quatre Vents (à la même date on recensait 91 paludiers)
".Les agents des 6rïgaâes sont organisés militairement, armés, souvent casernés, ils portent l’uniforme. La discipline, très stricte régit même certains actes de leur vie privée: mariages, déplacements, etc ...
Les brigades comptent dans leurs rangs beaucoup d'anciens militaires."
(Gabelle et Gabelous)
Si les lieutenants, brigadiers et sous brigadiers avaient une instruction suffisante pour rédiger les procès-verbaux établis aux bureaux des Douanes, nombreux étaient les préposés qui savaient tout juste signer.
Pour aider les préposés qui ne savaient pas compter, l'administration des Douanes mit à leur disposition des sortes de bouliers: les fasquelines, qu'une circulaire du 19 août 1816 décrit ainsi "appareil composé de cinquante plaques de fer-blanc marquées et numérotées par dizaines, et passées dans un anneau de fer adapté à un manche en bois "
La Douane et les douaniers de l'Ancien Régime au Marché Commun Jean Clinquart- Editions Taillandier
La vie quotidienne des agents affectés à la surveillance des marais salants, zones peu salubres, où sévit alors à l'état endémique " la fièvre des marais" est peu enviable. Leurs conditions de travail étaient très dures et leurs rétributions assez faibles.
Fasqueline : appareil mis à la disposition des douaniers qui ne savaient pas compter à partir de 1816. Il servait aux préposés à dénombrer les sacs de sel.
Ligne Brunel : petit grapin utilisé par les matelots des douanes pour la récupération des objets flottants.
La fraude du sel
Pour contrer les enlèvements frauduleux de sel sur les marais, la surveillance s'exerçait en toutes saisons, de jour comme de nuit. •
Ces enlèvements se faisaient" à col", c'est à dire à pied en portant un sac sur le dos, mais aussi avec des chevaux, en canot ou en yole et même avec des voitures à double fond.
On procédait par petits groupes de 2 à 3 personnes, mais c'était aussi des bandes armées beaucoup plus nombreuses, de plusieurs dizaines d'individus et même parfois plusieurs centaines comme à Carnac où en 1806 les douaniers se trouvèrent sur les salines de Beaumer face à environ 300 fraudeurs de sel. Ces échauffourées se terminaient par des blessés plus ou moins graves et parfois par des morts comme à Billiers en 1806 où Yves Le Floch, tailleur d'habits de 19 ans reçut "un coup de balle par les reins côté gauche et sorti par le flanc droit vers l'aine et à la suite de ce coup perdit une si grande quantité de sang qu’il en est mort. "
A Séné, si les batailles rangées entre douaniers et contrebandiers ne firent pas de victimes il y eut quand même des blessés comme sur les marais de Kerbiscon en 1814
Bataille rangée sur les marais de Kerbiscon
Le 26 aoûtl814, vers huit heures du matin, le sieur Delarue lieutenant des douanes à la caserne de Kerbiscon rencontre aux environs de la caserne, Joseph Prêté dit" Sabot " bien connu de lui pour être un fraudeur multi récidiviste:
"Tu viens encore sans doute prendre tes mesures pour attaquer nos marais." lui dit-il.
" Bien. au contraire, lui répond le dit Sabot, je viens vous voir pour vous prévenir qu’il se forme un grand rassemblement composé de militaires et d'habitants de la ville et des environs, et que je crois qu’ils se porteront ce soir sur nos marais."
Il ajouta "Les militaires doivent venir armés et surprendre les préposés."
Joseph Prêté alla aussi prévenir" le Sieur Gaugain lieutenant principal à Vannes" qui alerta ses supérieurs: l'inspecteur des Douanes Rousseau et le contrôleur de Brigade Compagnon. Ceux-ci prirent leurs dispositions et dressèrent un plan de bataille.
Sur leur ordre, on rameuta toutes les brigades des environs : de Séné, bien sûr mais aussi de Saint Avé, de Mériadec, d'Arradon, de Plescop, de Theix, de Saint Nolff. On fit appel aussi aux grenadiers des 130ème et 75ème régiments de ligne en garnison à Vannes et on dressa des embuscades autour de la ville.
Le lieutenant Jean Louis Miclet embusqué avec quatre grenadiers dans un pré à proximité du cimetière de " Bois Moreau'' laissa passer la bande entendant les militaires qui disaient ".Ah, ah, on dit que ces gens là sont des cranes, nous allons les remuer."
Vers les dix heures et demie du soir, les douaniers embusqués près des marais virent 's'avancer et entrer sur lesdits marais une troupe nombreuse d'individus pouvant être composée de soixante à quatre vingt hommes, parmi lesquels nous en avons distingués à peu près la moitié de militaires dont partie armée de fusils, et d’autre de sabres et quelques uns non armés." Les douaniers les laissèrent entrer sur les marais et charger le sel dans les sacs qu'ils avaient apporté avec eux, puis refermant le piège, ils intervinrent leur faisant les sommations d'usage auxquelles répondirent des coups de fusil et des cris " 'En avant sabre en main, baïonnette en avant."
Les douaniers répliquèrent et les fraudeurs surpris par le nombre se dispersèrent alors à travers les marais en abandonnant leurs sacs. On récupéra 18 sacs représentant 730 kilos de sel.
Sur les marais mêmes, on arrêta deux militaires du 130ème de ligne et deux civils, habitant le quartier de Saint Patern à Vannes.
L'un des militaires, Jean Baptiste Malherbe, grenadier au 130ème fut blessé à l'épaule d'un coup de feu et le tambour maître Jean Barbier, qui tenta de résister, dut finalement se rendre, cerné par les baïonnettes des préposés. Voilà le témoignage du préposé Jean François Le Breton du poste de Langle qui procéda à son arrestation:
"J'ai présenté la baïonnette audit Barbier qui était armé d'un sabre nud, en le sommant de se rendre. Le préposé Guillevic l’a pris au collet, moi je lui ai saisi la main qui était armée de son sabre. Il se débattait, mais le lieutenant Trastour survint et lui dit de rendre son sabre qu'il ne lui serait fait aucun mal. Alors il me le remit et je le confiai au préposé Le Maréchal. Le dit Barbier se mit à genou et dit : fusillez moi, nous passons demain la revue, ne me me¬nez pas devant mon colonel, je suis un homme perdu. Il fut conduit à la caserne de Kerbisccon."
Outre Jean Marie Quérel, sans profession habitant place Cabello et Jean Mathurin, garçon couvreur rue de la Tannerie capturés avec ces deux militaires, les patrouilles organisées et les barrages dressés aux entrées de Vannes permirent d'arrêter huit autres personnes soupçonnées d'avoir fait partie de
la bande. •
Sur les onze heures du soir, les douaniers à cheval de la brigade de Meu¬con arrêtèrent cinq "individus, couverts de vase" qu'ils conduisirent "au corps de garde des douanes sur le quay à 'Vannes ". Il s'agissait de Nicolas Guérin, marchand de quincaillerie; Louis Pourchasse dit Mirecourt , garçon d'écurie; Yves Fohan¬no, maréchal; Michel Robin, garçon boulanger habitants dans le quartier de Saint Patern et Denis Augé fondeur de cuillères et raccommodeur de faïence , ''sans azile".
• Vers les six heures du matin, ''.Le sieur Moroy, cavalier des douanes résidant à fa caserne de Sainte Elisabeth, contrôle de 'Theix, arrêta auprès de Saint Léonard "deux individus dont l'un fui dit se nommer Davase fils demeurant chez son père à 'Vannes rue du Roulage, l'autre ne s'étant pas nommé a dit être journalier travaillant chez les boulangers à Vannes" ••
Ils lui déclarèrent "qu'ils avaient été forcés par {es militaires de se joindre à ceux pour faire partie de l'attroupement considérable qui s'était porté sur les marais et qu'ils s'étaient enfuis fors de la fusillade."
''
.Le Sieur Jean Miclet, Lieutenant ambulant à Plescop, à la tête de 4 grenadiers du 130e de liqne, embusqués près du cimetière du Bois Moureau " arrêta un individu couvert de vase " qui en répondant à ses interpellations" s'est dit être de Camors mais n'a pas voulu se nommer, ni aire d'où il venait " Le lieutenant remarqua "que cet individu était sans cha¬peau, ni bonnet et n'avait qu'un soulier." Il fut identifié plus tard comme étant Fran¬çois Leloire, journalier.
En continuant, ils aperçurent aussi "un individu, chargé d'un sac qui prit la fui¬te jetant son sac." Le sac, ramené à Vannes et pesé, contenait 16 kilos de sel qui s'ajoutèrent aux 730 kilos trouvés sur les marais.
Joseph Prêté qui avait pris la tête de l'attroupement jusque sur les marais s'était abrité lors de la fusillade dans une cabane de douaniers. Il ne fut pas inquiété.
Laurent Calvil déclara "être en ribote" et après être allé chez un oncle à Saint Léonard et étant ivre avoir couché chez Jacques Le Roux cabaretier à saint Léonard. Celui ci et sa femme confirmèrent ses dires.
Denis Augé, lui dit, avoir voulu se rendre ce jour à Muzillac avec l'intention d'aller à la Rochelle où il se proposait "de travailler aux vendanges ». Mais rendu à une lieue de Muzillac, il réfléchit qu'il n'avait pas de quoi faire la route et revint pour se faire arrêter près de Saint Léonard.
Le juge lui fit tout de même remarquer qu'étant parti à cinq heures de l'après midi et s'étant rendu "à une lieue de : Muzillac qui est éloigné de cette ville de six lieues de poste" et se retrouvant entre dix heures et demie et onze heures aux environs de Saint Léonard" il en résulterait que dans l'espace de cinq heures et demie" il aurait fait "près de neuf lieues ce qui n'est guère présumable."
La Cour d'Assises du Morbihan prononça l'acquittement de Denis Augé, de François Leloire et de Laurent Calvil.
Elle décida qu'Antoine Davas, 16 ans serait détenu pendant quatre ans dans une maison de correction et le plaça sous la surveillance de la haute police pendant dix ans.
Nicolas Guerrin, Michel Robin, Louis Pourchasse, Yves Fohanno furent condamnés à six ans de réclusion mais les plus sévèrement condamnés furent Jean Pierre Barbier, Jean Baptiste Malherbe, Jean Mathurin et Jean Marie Quérel à qui la cour infligea une peine de six ans de travaux forcés.
Ses huit condamnés avant de subir leur peine furent "exposés aux regards au peuple pendant une heure" dans un carcan, un écriteau placé au dessus de leur tête indiquant leur délit .
A.D.M ( U 1855)
Ils furent soumis aussi à la surveillance de la haute police pendant toute leur vie.
Dans les dossiers de surveillance légale des condamnés (A.D.M 539) on retrouve la trace de Jean Pierre Barbier. En octobre 1815, sa peine de six ans de travaux forcés avait, par grâce royale, été commuée en celle d'un an d'emprisonnement. Il fut libéré du bagne de Brest et en janvier 1816, obtint un passeport pour se rendre à Vannes où résidait sa femme.
On ne sait s'il en fut de même pour les autres condamnés
6 LE DECLIN DES SALINES
La baisse considérable du prix du sel illustre bien le déclin rapide des salines de l'Ouest dans la seconde moitié du 19ème siècle.
Une législation défavorable
Une loi promulguée le 17 juin 1840 modifie les règles du commerce du sel réduisant les droits d'entrée sur les sels étrangers et permettant la concentration des Salins de l'Est et du Midi aux mains de grandes compagnies.
En 1856, une coalition est créée autour de la société Renouard et Cie qui deviendra la Compagnie des Salins du Midi. La société Henri Merle qui deviendra la Compagnie Péchiney crée la même année le Grand Salin de Giraud en Camargue.
Les récriminations sont nombreuses contre les différentes dispositions de cette loi.
En 1856, le Ministre de !'Agriculture, du Commerce et de l'industrie lance une grande enquête sur la production et le commerce des sels dont le rapport sera publié en trois volumes en 1868 et 1869.
Le 20 juin 1851, la Société d'Agriculture de Vannes proteste auprès de la Commission d’enquête:
"Les individus employés à la production. du sel sont foin d'être heureux depuis la réduction des droits d'entrée sur les sels étrangers laquelle a ouvert une large concurrence à ceux du pays et par suite a fait considérablement baisser le prix de vente."
Concurrence déloyale
Les propriétaires, négociants, sauniers et cultivateurs de sel de la Vendée, de la Loire Inférieure et du Morbihan adressent au Sénat une pétition s'élevant contre la concurrence déloyale dés Salines de l'Est et des Salins du Midi.
"Les pétitionnaires se plaignent de ce que le sac de sel de 100 Kg qui se vend à 'Dieuze (Meurthe) à la porte même de la saline 17 francs droit acquitté est livré à Paris après un voyage de 300 km à 13 francs 50 ou 14 francs toujours droits acquittés. "
"Les sels de l'Ouest se rencontrent donc sur les marchés avec des produits qui ont profité de grandes réductions sur les frais de transport par l’application des tarifs différentie des compagnies de chemin de fer. En outre ces sels ayant été obtenus par des associations financières puissantes exploitant sur une échelle considérable les saûnes de l'Est ou les marais du Midi celles-ci dans un intérêt d'avenir peuvent faire des sacrifices momentanés sur les prix de vente que les producteurs des sels de l'Ouest seraient hors d'état de se permettre assurément.
Ils se trouvent que la concurrence ainsi permise devient la lutte du pot de terre contre le pot de fer."
La voie ferrée est arrivée à Nantes en 1851, à Saint Nazaire et Rennes en 1857, Redon, Vannes, Lorient, Saint Brieuc en 1862, Quimper, Pontivy en 1864, Morlaix, Brest en 1865 et à Dinan en 1868.
Ce développement des compagnies de chemins de fer qui pratiquent des tarifs préférentiels pour les compagnies des Salins de l'Est et du Midi porte tort aux Salines de l'Ouest réparties entre de petits négociants qui ne peuvent obtenir les mêmes avantages.
Entre 1850 et 1870, l'Ouest a perdu sa position dominante dans presque la moitié des départements qui constituaient son marché traditionnel (19 sur 39). (Enquête sur les sels 1866.)
Pendant la même période les salines du Midi ont augmenté de 35% leurs ventes, et les salines de l'Est et du Sud Ouest de 90%.
Découverte d'une nouvelle technique de conservation
En 1824, le nantais Pierre Joseph Colin appliquant la nouvelle technique de conservation découverte par Appert et connue sous le nom d'appertisation ouvre à Nantes la première usine de conserves. Le salage est remplacé par la stérilisation en boîtes.
Vignette publicitaire, manière d’ouvrir les boites de sardines « Jockey Club » de Saupiquet.
Nantes vers 1900
En 1860, on compte 22 "fricasseries" dans le Morbihan.
La première crise de la pêche à la sardine intervient entre 1880 et 1887. Les sardines désertent les côtes bretonnes et dès 1880 le lorientais Delory installe une conserverie à Sétubal au Portugal. Chancerelle de Douarnenez et Saupiquet de Nantes l'imitent et s'implantent au Portugal et en Espagne
En 1883 Vigo en Espagne possède 3 conserveries, elles sont 137 en 1905.
Il y a plusieurs raisons à ces " délocalisations":
1. une plus grande docilité de la main d'œuvre.
2. une période de travail plus longue sur les salines: 10 mois contre 4.
3. une production d'huile sur place.
Les bateaux étrangers ne viennent plus charger le sel.
Le sel du Portugal et de l'Espagne étant meilleur marché, les bateaux norvégiens désertent les ports bretons. A cela s'ajoute, à partir de 1880, la crise de la pêche de la sardine faisant que les besoins en rogue des pêcheurs sont bien moins importants,
M. Dubois, négociant à Vannes signale dans sa réponse à l’Enquête sur les sels de 1866:
''Autrefois la Norvège, la Suède, la Hollande etc ... étaient pour l'Ouest d'importants débouchés. J'ai expédié beaucoup de sel dans ces contrées. 'Depuis quelques années, leurs navires deviennent de plus en plus rares sur nos côtes; mes dernières opérations remontent à 1859, 1860.
'En 1859, j'ai expédié sept navires norvégiens et en 1860 quatre seulement. 'Depuis fors, malgré nos pris avilis, il ne m'en a été adressé aucun ". Enquête sur les sels, 1866 A. D.M ( 1-3 F 207)
M. Voirin le Receveur des Douanes aux Quatre Vents le confirme:
"Les sels de Séné ont peu de débouchés; ils sont presque exclusivement enlevés par des sauniers qui les revendent dans l'intérieur au département " Enquête sur les sels, 1866
A cette évolution du commerce du sel s'ajoute la spéculation de négociants
"L’exportation qui autrefois avait lieu à destination de la Suède et de la Norvège a complètement cessé depuis 1861 "
"La plus grande partie du sel est dirigée par terre sur les voies de l'intérieur de la Bretagne spécialement, Napoléonville* et Rennes. Quelques chargements sont en outre expédiés en cabotage sur Nantes." * Pontivy
"La plupart des propriétaires ne vendent plus leur sel directement aux consommateurs mais le livrent à de gros négociants de Nantes et autres qui spéculent sur la denrée achètent lorsque les cours sont au plus bas, concentrent de grandes quantités de sel entre leurs mains et profitent de la hausse qui se produit." Delandre, directeur des Contributions Indirectes
Enquête sur les sels, 1866 A.D.M ( 1-3 F 207)
Conditions de vie des paludiers
La situation des paludiers devient critique. En 1857, Antoine de Cramezel propriétaire de marais à Surzur envoie une lettre au Préfet du Morbihan dans laquelle il cite l'exemple d'un de ses paludiers.
" Benoit Hervé, paludier qui travaille les sels de Kergonan est un homme de 44 ans, il a avec lui sa femme âgée de 49 ans, six enfants mâle de 4 à 18 ans et se trouve en outre chargé de son vieux père âgé de 85 ans. J’aurais eu au commencement du siècle, sous l'empire 900 kilos de sels exempts de droit ce qui lui eut valu de 250 à 270 francs suivant plus ou moins de facilité qu'il aurait et à s'en défaire, on l'aidait ainsi à élever une grande et robuste famille capable de donner à l'état de vaillans défenseurs car cette race de paludiers de la côte est de haute taille et d'un caractère ferme en même, temps que paisible.
Aujourd'hui, Benoit avec ses 9 bouches à nourrir a 520 Kgs qui lui valent 41,60 francs au fieu de 270 francs. Autre perte pour le paludier, le sel dont ils ont la récolte entière n'a plus son prix au dessus du sel commun, depuis qu'on en raffine de plus blanc et de plus fin." •
A.D.M (P 204)
Les paludiers sont rémunérés le plus souvent " au quart " (le quart de la récolte). L'évaluation de la production est faite généralement par un expert désigné par le propriétaire. Des partages plus avantageux existaient" au tiers" et "à moitié" pour maintenir des paludiers sur les exploitations.
La troque des sels
Sous la pression des grands propriétaires terriens qui font état de la misère de leurs paludiers, la "Troque" supprimée en 1791 est rétablie sous la Restauration par une Ordonnance du 30 avril 1817.
En vertu d'un privilège datant de Jean IV, une part de sels en franchise de tous droits était allouée à chacun des membres des familles de paludiers et de sauniers pour leur permettre de " troquer " ce sel dans les villes et villages de l'intérieur contre des quantités équivalentes de céréales.
La loi du 17 juin 1840 avait prévu son abolition dans un délai de 10 ans mais ce délai fut prorogé jusqu'au 1er janvier 1865.
L'une des revendications des paludiers est le rétablissement du bénéfice de la troque, bien qu'ils ne se fassent pas d'illusion comme le montre cette déposition de M. Simon, propriétaire de marais salants et paludier à Séné, dans l'enquête sur les sels de 1866.
"Le déposant est propriétaire de deux, marais contenant 68 œillets et d'une superficie de 3 hectares environ. Il cultive lui-même, ses marais et quelque que soit leur produit, il compte bien ne pas les abandonner, car il est vieux ; et il les aime.
Autrefois, la troque lui était d'un grand secours, sa famille se composant de dix personnes, chacun de ses membres en profitait. On désirerait dans les pays la voir rétablie mais on l'espère peu."
Enquête sur les sels, 1866
A.D.M ( 1-3 F 207)
Mais, ceux-ci sont souvent contraints de se louer en plus comme journaliers pour compléter leurs ressources. Après la suppression définitive de la troque du sel, beaucoup abandonnent les marais.
"Les paludiers sont de plus en plus misérables: ils abandonnent presque entièrement la culture des marais salants, et essaient de gagner leur vie en travaillant aux champs. Ils cultivent sur les digues des marais, du froment, de l’avoine et récoltent assez pour pouvoir se nourrir pendant quatre mois environ. Si les propriétaires ne se décident pas à les payer à la journée, ils quitteront tous leur état de paludier préfèreront gagner aux champs 1 franc par jour plus la nourriture comme les autres ouvriers. Déjà, un certain nombre d'œillets sont abandonnés depuis l’année dernière:"
M. Voirin Receveur des Douanes aux Quatre Vents
Enquête sur les sels 1866.
La situation des derniers paludiers, avant la seconde guerre mondiale n'avait pas évolué.
"Ces gars-là qui faisaient ce qu'on appelle le paludier, c'étaient des gars qui avaient en général deux, ou trois vaches. La femme, s'en occupait. Ils avaient la moitié du sel pour eux et la moitié pour le propriétaire. On leur donnait un bout de terrain qu'ils travaillaient eux-mêmes où ils pouvaient semer de l’orge, planter des betteraves et une petite prairie pour faire des foins pour leurs bêtes."
" Et quand ce n'était pas la saison du sel , ils travaillaient soit en carrière pour arracher la pierre, soit chez les cultivateurs au moment des grands travaux, L'hiver, ils venaient casser du bois. Ils étaient pris un peu à tout faire. "
Témoignage de Ferdinand Quester
Le paludier, outre sa part de sel gris disposait de "la fleur de sel", le sel blanc et il était payé pour les travaux de remise en état de la saline, pour la livraison de la récolte (1 franc par tonne) et pour l'entretien du mulon si le sel restait plus d'un an sur le marais.
Vente ou démolition des casernes, diminution des effectifs des douanes
La fraude de l'impôt sur le sel au XIX° siècle n'eut jamais la même importance que le faux saunage sous l'Ancien Régime. Au fil des années, et surtout à partir de 1840, le revenu fiscal que représentait la taxe sur les sels diminue régulièrement par rapport aux autres revenus.
L'impôt sur le sel constituait en 1816 près de 50 % des perceptions de la douane. Cette part n'était plus que de 25% en 1848, de 13% en 1845, de 5 % à compter de 1880 et en 1925 elle avait chuté à 1,5%.
La douane et les douaniers de l'Ancien Régime au Marché Commun.
Jean Clinquart Editions Taillandier
En 1926, la surveillance permanente sur les marais cessa. Les sauniers durent seulement tenir une comptabilité soumise à des contrôles inopinés des services des douanes.
Vingt ans plus tard, en 1945, l'impôt lui même fut supprimé définitivement. Quand la surveillance des marais devint de moins en moins rentable, on entreprit de vendre casernes, guérites et corps de garde et les effectifs des brigades diminuèrent.
Séné conserva la caserne des Quatre Vents mais la caserne de Billorois fut vendue et celle de Kerbiscon en mauvais état fut démolie et les matériaux furent achetés en 1886 par un marchand de bois de Vannes, M. Le Guen pour la somme de 140 francs.
A.D. M ( P 220)
Le Maire de Surzur fait état lors du recensement effectué en 1866 de l'incidence du départ des brigades des douanes sur la diminution de la population:
"'Rapport sur tes causes connues ou présumées des augmentations ou diminutions que présente ce dénombrement comparé à celui de 1861 ".
Il y a 65 habitants en moins, diminution attribuée à : "la suppression de plusieurs brigades de douanes qui a eu lieu l’an dernier. Le retrait de ces préposés dont les nombreux enfants disséminés dans cette commune et qui ont presque tous suivis leurs parents est le seul motif auquel nous puissions imputer la diminution de la population que nous croyons avoir recensée avec la plus scrupuleuse attention."
A.D.M (6M 16)
Evolution de la propriété salicole
De 1721 à 1791, les salines ont appartenu à titre individuel ou collectif aux Chanoines du Chapitre de Vannes. En 1791 les biens du clergé furent confisqués et les salines furent vendues comme domaines nationaux.
M. Le Mauff, capitaine de vaisseau du Roy acheta 75 œillets pour la somme de 16 000 livres. M.Guillemet, marchand à Vannes acheta 103 œillets pour 5425 livres.
Mais la plus grande partie, 2307 œillets fut achetée par Augustin Périer commandant des Gardes Nationaux de Lorient et Administrateur de la Compagnie des Indes pour un prix de 280 525 livres. Il les revendit presque aussitôt à MM Lucas, Le Mauff et Poussin.
La dernière création de salines à Séné fut celle de la Villeneuve dans l'anse de Mancial, asséchée après qu'une ordonnance royale du 7 juillet 1824 eut autorisé M. Jacques Martin et M. Edouard Louis Lorois qui deviendra préfet du Morbihan en 1830 à construire une digue entre la pointe du Bill et la pointe du Peschit. La digue fut construite en 1827 et l'assèchement fut achevé en 1830.
Au cours du XIX° siècle, les marais salants appartiennent à des propriétaires terriens, comme Levesque Hippolyte, Comte de la Ferrière à Tréhon en Loudéac (un des propriétaires du marais de Mézentré Michot), ou Philippe Alexandre de Kerarmel à Parc Le Gal en Larré (propriétaire en 1890 du marais du Grand Falguérec)
Des négociants peu ou prou intéressés par le commerce du sel achètent aussi des salines. comme Alexandre Yves Marie Soymié d'Etel qui, en 1830, créa sur le port la première usine de conserves de sardines à l'huile.
Après la crise de la pêche à la sardine de 1880-1887, Alexandre Soymié pour faire face à ses difficultés financières vendit les salines qu'il possédait au Hézo et à Séné. Un autre gros négociant de « sels en gros, poissons secs et salés", Auguste Fortune Théodore Douaud de Nantes les acheta en 1897.
Mais posséder des marais salants étaient de moins en moins rentables et dès 1866 les salines étaient déjà fortement dépréciées.
"Avant la loi du 17 juin 1840, dans les localités où l’hectare de marais salants se vendait entre 3 000 et 4000 francs les meilleures terres valaient 1 000 francs, on ne trouve plus à vendre ces mêmes marais 600 francs et les terres ont triplé de valeur. "
M. Dubois négociant à Vannes Enquête sur les sels, 1866
Aussi à la fin du XIX° siècle et au début du XX° siècle, les négociants et les propriétaires terriens vendent leurs marais aux agriculteurs et aux paludiers.
Petit à petit, l'activité salicole se désorganise. Elle ne représente le plus souvent qu'une ressource d'appoint. Les marais mal entretenus, travaillés dans de mauvaises conditions sont progressivement abandonnés.
La saignée de la guerre 1914-1918 n'arrangea rien sans doute et peu avant la seconde guerre mondiale, la saliculture sur les marais de Séné était en voie d'extinction.
Seuls, quelques paludiers continueront quelques années encore après la guerre de 1939-1945 à récolter le sel. Le dernier paludier cessera toute activité en 1951.